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Sybille de Bollardière

Le Poulpe amoureux et la force des mots

1 Décembre 2010, 22:20pm

Publié par Sybille de Bollardiere

 

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Nous roulions sur une route déserte, Piotr avait froid et restait silencieux. Il avait bien essayé de me proposer un détour par le village de Ludmila K. mais j’avais refusé. Elle lui manquait … Je le compris très vite après le départ de la jeune femme en découvrant dans la chambre de Piotr, son manuscrit annoté de ses regrets de poulpe mais déjà investi de l’espoir de la revoir.

 

Il aimait et même s’il n’était pas capable de mettre un nom sur l’étrange sentiment qui l’envahissait, c’était bien d’amour et qui plus est, d’un amour très humain dont il était la proie. Piotr eut beau se défendre en évoquant l’immatérialité de cette sensation unique qui ne devait rien au désir charnel. (En tant que poulpe, comment aurait-il pu ?) Alors que nous traversions les forêts enneigées de l’Ouest, ses mots me devinrent indispensables. Avec minutie et précision il me décrivit cette nouvelle projection de lui-même. « Comprends-moi » me disait-il, « Maintenant je n’ai plus peur de vivre et le sens de mon voyage m’apparait. Cette rencontre a donné du sens à ma vie non seulement présente, mais future et même » et c’est ce qui l’étonnait le plus, « passée ». Oui, ajouta- t-il, « tout est devenu simple, c’est un peu comme si j’étais grâce à Ludmila,  immortel ».

 

Piotr soupira et je laissai le silence s’installer. C’était à moi de retrouver les images du passé, Yoshka refit surface. Pour nous protéger nous avions fait du désastre amoureux un véritable art de vivre. Il nous offrit parfois de belles pages, le plus souvent des joutes oratoires qui nous laissaient éreintés et vaincus au seuil de nos solitudes. Avec le temps et le silence, je commençais à le réinstaller dans ses qualités.

 

Piotr quant à lui, était venu d’un autre monde soigner un mal de vivre qu’il avait longtemps pris pour un amour malheureux et puis il y avait eu les livres, la poésie et enfin Ludmila K.…

 

Une bourrasque de neige traversa la route, Piotr se redressa, glissa une tentacule sur mon épaule et ajouta comme si notre conversation n’avait pas été interrompue :

- Tu vois, je crois que si je ne devais pas la revoir cela n’aurait pas tellement d’importance. Il me semble que cette rencontre nous a offert le meilleur de nous-mêmes et l’avenir de ce que nous avons à écrire.

Oui Piotr écrivait déjà, non pas ses mots, mais les nôtres, tous ceux qu’il lisait, qu’il épiait dans ce qui était devenu sa terre d’accueil : notre langue.